L'imagerie hyperspectrale et multispectrale
L'imagerie hyperspectrale et multispectrale sont deux technologies similaires qui ont gagné en importance et en utilité au cours des deux dernières décennies. Ces termes sont souvent confondus pour avoir la même signification, mais ils représentent deux méthodes d'imagerie distinctes, chacune ayant son propre espace d'application. Ces deux technologies présentent des avantages par rapport aux méthodes d'imagerie conventionnelles de vision industrielle, qui utilisent la lumière du spectre visible (400-700 nm). Toutefois, ces avantages s'accompagnent d'une complexité accrue du système en termes d'éclairage, de filtrage et de conception optique.
Dans les applications typiques de vision industrielle, l'éclairage utilisé et capté par le capteur se situe dans le spectre visible. Cette partie du spectre est constituée de la seule lumière que l'œil humain peut détecter, allant d'environ 400 nm (violet) à 700 nm (rouge foncé) (Figure 1). Les assemblages d’objectifs d'imagerie et les capteurs ont généralement des sensibilités spectrales maximales autour de 550 nm. L'efficacité quantique d'un capteur de caméra est sa capacité à convertir les photons en un signal électrique ; cette efficacité diminue considérablement dans l'ultraviolet ou le proche infrarouge. En termes simples, l'imagerie hyperspectrale (HS) est une méthode de capture d'images contenant des informations provenant d'une plus grande partie du spectre électromagnétique. Cette partie peut commencer par la lumière UV, s'étendre au spectre visible et se terminer dans l'infrarouge proche. Cette gamme étendue de longueurs d'onde peut révéler des propriétés de la composition des matériaux qui ne sont pas visibles autrement.
Figure 1 : Seule une petite partie du spectre des longueurs d'onde est visible par l'œil humain, et les régions de longueur d'onde en dehors du spectre visible sont utilisées dans l'imagerie hyperspectrale et multispectrale.
Les capteurs de vision industrielle émettent des tableaux de valeurs en niveaux de gris qui produisent une image en 2D de l'objet situé dans une zone de visualisation. L'utilité fonctionnelle de ce système est généralement la reconnaissance de caractéristiques à des fins de tri, de mesure ou de localisation d'objets. Le système de vision ne connaît pas les longueurs d'onde utilisées pour l'éclairage, à moins d'utiliser des filtres optiques. Ce n'est pas le cas des capteurs dotés d'un filtre de Bayer (RVB), mais même dans ce cas, chaque pixel est limité à une bande étroite de longueurs d'onde et c'est le logiciel de la caméra qui attribue finalement la couleur. Dans une image véritablement hyperspectrale, chaque pixel correspond à des coordonnées, à une intensité de signal et à une longueur d'onde. C'est pourquoi l'imagerie HS est souvent appelée spectroscopie d'imagerie.1
Un spectromètre recueille des informations sur la longueur d'onde ainsi que sur l'intensité relative des différentes longueurs d'onde détectées.2 Ces appareils recueillent généralement de la lumière à partir d'une source unique ou d'un emplacement sur un échantillon. Un spectromètre peut être utilisé pour détecter des substances qui diffusent et réfléchissent des longueurs d'onde spécifiques, ou la composition d'un matériau sur la base d'émissions fluorescentes ou phosphorescentes. Un système d’imagerie HS fait passer cette technologie à un niveau supérieur en attribuant des données de position aux spectres lumineux recueillis. Un système hyperspectral ne produit pas une image 2D, mais un cube de données hyperspectrales ou un cube d'images.3
Il existe quatre principaux modes d'acquisition hyperspectrale, chacun présentant un ensemble d'avantages et d'inconvénients (Figure 2). La méthode « whiskbroom » est un processus de balayage ponctuel qui permet d'acquérir les informations spectrales pour une coordonnée spatiale à la fois. Cette méthode tend à offrir le plus haut niveau de résolution spectrale, mais nécessite que le système balaie la zone cible sur les axes x et y, ce qui augmente considérablement le temps d'acquisition total.1 La méthode « pushbroom » est une capture de données par balayage linéaire dans laquelle un seul axe de mouvement spatial est nécessaire, une rangée de pixels balayant une zone pour capturer les informations spectrales et de position. Ces systèmes pushroom peuvent avoir une taille compacte, un faible poids, un fonctionnement plus simple et un rapport signal/bruit plus élevé."1 Lors de l'utilisation de cette méthode d’imagerie HS, il est essentiel de synchroniser les expositions de manière optimale. Un temps d'exposition incorrect entraînera une saturation incohérente ou une sous-exposition des bandes spectrales. La méthode appelée « balayage plan » permet d'obtenir des images de l'ensemble de la zone 2D en une seule fois, mais à chaque intervalle de longueur d'onde, et implique de nombreuses captures d'images pour créer la profondeur spectrale du cube de données hyperspectrales. Bien que cette méthode de capture ne nécessite pas de translation du capteur ou du système complet, il est essentiel que le sujet ne bouge pas pendant l'acquisition, faute de quoi la précision des informations positionnelles et spectrales sera compromise. Le quatrième mode d'acquisition d'images hyperspectrales, le plus récent, est appelé « à tir unique » ou « snapshot ». Un imageur à tir unique collecte l'intégralité du cube de données hyperspectrales au cours d'une seule période d'intégration.1 Bien que le tir unique semble être l'avenir préféré de la mise en œuvre de l'imagerie HS, il est actuellement limité par une résolution spatiale comparativement plus faible et nécessite un développement supplémentaire.1
Figure 2 : Les quatre modes d'acquisition hyperspectrale principaux sont les suivants : (A) balayage de points, ou mode « whiskbroom », (B) balayage de lignes, ou mode « pushbroom », (C) balayage plan ou balayage de surface, et (D) mode à tir unique ou « snapshot ».
Un système d'imagerie multispectrale (MS) est similaire à un système hyperspectral, mais présente des différences essentielles. Par rapport à la collecte de données de longueurs d'onde effectivement continues du principe d’imagerie HS, l’imagerie MS se concentre sur plusieurs bandes d'ondes présélectionnées en fonction de l'application en question. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un exemple ou d'une comparaison directe, les capteurs RVB courants permettent d'illustrer ce concept. Les capteurs RVB sont recouverts d'un motif de Bayer, composé de filtres rouges, verts et bleus. Ces filtres permettent aux longueurs d'onde de bandes de couleurs spécifiques d'être absorbées par les pixels tandis que le reste de la lumière est atténué. Les filtres passe-bande ont des bandes de transmission dans la gamme de 400-700 nm et ont un léger chevauchement spectral. La Figure 3 en donne un exemple. Les images capturées sont ensuite rendues en fausses couleurs pour se rapprocher de ce que voit l'œil humain. Dans la plupart des applications d'imagerie multispectrale, les bandes de longueur d'onde sont nettement plus étroites et plus nombreuses. Les bandes d'ondes sont généralement de l'ordre de quelques dizaines de nanomètres et ne font pas exclusivement partie du spectre visible. Selon l'application, les longueurs d'onde UV, NIR et thermiques (IR à ondes moyennes) peuvent également disposer de canaux isolés.4
Figure 3 : Courbe d'efficacité quantique d'une caméra RVB montrant le chevauchement entre le rouge, le vert et le bleu.
Certains considèrent l’imagerie MS comme une forme plus mauvaise de l’imagerie HS, avec une résolution spectrale plus faible. En réalité, les deux technologies présentent chacune leurs propres avantages qui en font des outils privilégiés pour des tâches différentes. L’imagerie HS est la mieux adaptée aux applications sensibles aux différences subtiles de signal le long d’un spectre continu. Ces petits signaux pourraient ne pas être détectés par un système qui échantillonne des bandes d'ondes plus larges. Cependant, certains systèmes nécessitent de bloquer des portions importantes du spectre électromagnétique pour capturer sélectivement la lumière (Figure 4). Les autres longueurs d'onde pourraient présenter un bruit important susceptible de ruiner les mesures et les observations. En outre, si le cube de données contient moins d'informations spectrales, la capture, le traitement et l'analyse de l'image peuvent se faire plus rapidement.
Figure 4 : Comparaison des piles d'images en imagerie multispectrale, dans laquelle les images sont prises dans plusieurs spectres différents, et en imagerie hyperspectrale, dans laquelle les images sont prises dans un spectre continu.
Les domaines d'application qui requièrent l'utilisation de l’imagerie HS et MS continuent de se multiplier. La télédétection, l'imagerie aérienne de la surface de la terre à l'aide de véhicules aériens sans pilote (UAV) et de satellites, s'appuie à la fois sur l’imagerie HS et MS depuis des décennies. La photographie spectrale peut traverser l'atmosphère terrestre et les différentes couvertures nuageuses pour obtenir une vue non obstruée du sol. Cette technologie peut être utilisée pour suivre l'évolution de la population, observer les transformations géologiques et étudier les sites archéologiques. En outre, les technologies d’imagerie HS et MS sont devenues de plus en plus importantes pour l'étude de l'environnement. Des données peuvent être collectées sur la déforestation, la dégradation des écosystèmes, le recyclage du carbone et les phénomènes météorologiques de plus en plus erratiques. Les chercheurs utilisent les informations recueillies pour créer des modèles prédictifs de l'écologie mondiale, qui sont à la base de nombreuses initiatives environnementales destinées à lutter contre les effets négatifs du changement climatique et de l'influence humaine sur la nature.6
Il en va de même dans le domaine médical. Grâce à l'imagerie hyperspectrale, les médecins peuvent désormais réaliser des scanners non invasifs de la peau pour détecter les cellules malades ou malignes. Certaines longueurs d'onde sont mieux adaptées pour pénétrer plus profondément dans la peau, ce qui permet de mieux comprendre l'état d'un patient. Les cancers et autres cellules malades sont désormais faciles à distinguer des tissus sains, car ils deviennent fluorescents et absorbent la lumière sous l'effet d'une stimulation adéquate. Les médecins ne sont plus obligés de faire des suppositions éclairées sur la base de ce qu'ils peuvent voir et de la description des symptômes par le patient. Des systèmes sophistiqués peuvent enregistrer et interpréter automatiquement les données spectrales, ce qui permet d'accélérer considérablement les diagnostics et de traiter rapidement les domaines exacts où le besoin se fait sentir.5
Les sciences de la vie et la télédétection ne sont que quelques-uns des domaines dans lesquels ces technologies ont laissé une empreinte importante. Des secteurs de marché plus spécifiques comprennent l'agriculture, la qualité et la sécurité des aliments, les produits pharmaceutiques et les soins de santé.3 Les agriculteurs trouvent ces outils particulièrement utiles, car ils leur permettent de déterminer la croissance de leurs cultures. Les tracteurs et les drones peuvent être équipés d'imageurs spectraux pour balayer les champs tout en effectuant une forme de télédétection à basse altitude. Les agriculteurs analysent ensuite les caractéristiques spectrales des images capturées. Ces caractéristiques permettent de déterminer l'état de santé général des plantes, l'état du sol, les régions qui ont été traitées avec certains produits chimiques ou la présence d'un élément nuisible, comme une infection. Toutes les informations possèdent des marqueurs spectraux uniques qui peuvent être capturés, analysés et utilisés pour garantir une production optimale des produits.
Bien que les domaines d'application qui bénéficient de l'imagerie HV et IMS soient vastes et de plus en plus nombreux, les limites de la technologie actuelle ont entraîné une lente adoption par l'industrie. Actuellement, ces systèmes sont nettement plus chers que d'autres composants de vision industrielle. Les capteurs doivent être plus complexes, avoir une plus grande sensibilité spectrale et être calibrés avec précision. Les puces de détection nécessitent souvent l'utilisation de substrats autres que le silicium, qui n'est sensible qu'entre 200 et 1000 nm environ. L'arséniure d'indium (InAs), l'arséniure de gallium (GaAs) ou l'arséniure d'indium et de gallium (InGaAs) peuvent être utilisés pour capter la lumière jusqu'à 2600 nm. S'il s'agit de prendre des images en utilisant les longueurs d’ondes de l’infrarouge proche à l’infrarouge à ondes moyennes, il faut un capteur au tellure de mercure-cadmium (MCT ou HgCdTe), un réseau plan focal à l'antimoniure d'indium (InSb), un réseau plan focal à l'arséniure d'indium-gallium (InGaAs), un microbolomètre ou un autre capteur à plus grande longueur d'onde. Les capteurs et les pixels utilisés dans ces systèmes devront également être plus grands que ceux de nombreux capteurs de vision industrielle pour atteindre la sensibilité et la résolution spatiale requises.1
Un autre défi se pose lorsqu'il s'agit d'associer ces capteurs haut de gamme aux composants optiques appropriés. L'enregistrement des données spectrales s'appuie fortement sur des filtres passe-bande, des optiques diffractives, telles que des prismes ou des réseaux, et même des filtres accordables à cristaux liquides ou acousto-optiques pour séparer la lumière des différentes longueurs d'onde.7 En outre, les objectifs utilisés pour ces caméras doivent être conçus de manière optimale et compatibles avec de vastes gammes de longueurs d'onde et des fluctuations de température. Ces conceptions doivent comporter davantage d'éléments optiques, ce qui augmente le coût et le poids du système. Les éléments devront avoir des propriétés dispersives et indices de réfraction différents pour la correction des couleurs à large bande. Les différents types de verre se traduisent également par des propriétés thermiques et mécaniques variées. Après avoir sélectionné des verres ayant les spectres de transmission interne appropriés, il est impératif d'appliquer des traitements antireflets multicouches à large bande sur chaque verre afin de garantir un débit de lumière maximal. La multitude d'exigences uniques dans ces circonstances rend le processus de conception des lentilles pour l'imagerie hyperspectrale et multispectrale laborieux et exige une grande compétence. Certains espaces d'application nécessitent également que les assemblages des objectifs soient athermiques afin de garantir qu'un système fonctionne de la même manière qu'il soit utilisé au sol ou dans la haute atmosphère.
Les objectifs de développement futurs sont de rendre les systèmes d’imagerie HS et MS plus compacts, plus abordables et plus conviviaux. Grâce à ces améliorations, de nouveaux marchés seront encouragés à utiliser la technologie et à faire progresser les marchés qui l'utilisent déjà.
Références
- Hyperspectral Imaging: A Review on UAV-Based Sensors, Data Processing and Applications for Agriculture and Forestry.
- D. W. Ball, Field Guide to Spectroscopy, SPIE Press, Bellingham, WA (2006).
- Imaging in Dermatology, 2016; Chapter 16 – Hyperspectral and Multispectral Imaging in Dermatology.
- R. Paschotta, article on 'multispectral imaging' in the Encyclopedia of Laser Physics and Technology, 1. edition October 2008, Wiley-VCH, ISBN 978-3-527-40828-3.
- Schneider, Armin, and Hubertus Feußner. Biomedical Engineering in Gastrointestinal Surgery. Academic Press, 2017.
- Unninayar, S., and L. Olsen. “Monitoring, Observations, and Remote Sensing – Global Dimensions.” Encyclopedia of Ecology, 2008, pp. 2425–2446., doi:10.1016/b978-008045405-4.00749-7.
- Schelkanova, I., et al. “Early Optical Diagnosis of Pressure Ulcers.” Biophotonics for Medical Applications, 2015, pp. 347–375., doi:10.1016/b978-0-85709-662-3.00013-0.
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